Carte postale postcard Vietnam

Postcard : Paris

postal-11

J’écris mieux la nuit. Je suis peinard quand tout le monde dort. Quelque soit le coin de monde je finis toujours par traîner un peu trop tard, par reprendre mes marques et me réveiller quand le soleil se couche. Si je n’ai rien à faire, je suis nocturne. L’heure je m’en fous. La température par contre je ne m’y fais pas. A Paris l’air est très froid. Les gens aussi.

En ce moment j’écris. En tout cas, j’essaie. Les textes du Vietnam et quelques rajouts ici et là. Tous les soirs j’ouvre Word et immédiatement la page blanche me donne mal à la tête. Je  baisse la luminosité, je mets de la musique. Je laisse mes doigts courir sur le clavier en attendant que ça vienne.
Je mets du café dans mon sucre, du whisky dans mon café. Une page blanche ça se noie.

Au Vietnam j’ai terminé mon livre plus tôt que prévu, il me restait encore deux semaines avant de décoller pour New York -en passant par Bangkok- mais j’avais déjà toutes mes pages. Alors, pour gagner du temps, j’ai décidé d’écrire. Sur place c’était mieux. Plus authentique. Je me suis installé à Saigon et j’ai travaillé mes textes, en laissant durer les nuits, en évitant le jour, dans le silence de mon hôtel, dans le calme aseptisé de ma chambre carrelée, bleu ciel, du sol au plafond. La nuit au Vietnam il ne se passe rien, les gens qui traînent après le coucher du soleil ne valent pas la peine d’être rencontrés. Les rues sont dangereuses, les bars nuls.
Pendant deux semaines j’ai tiré mes séances de travail jusqu’à l’aube, en commençant tard, en finissant tôt. Tous les matins, pendant 15 jours, j’ai quitté ma chambre à 6 heures, réveillé le mec à la réception et je suis sorti pour prendre un petit déjeuner avant d’aller dormir. Tous les matins la même dame, quasi centenaire, m’a préparé un sandwich à la Vache qui rit et à ses questions en Vietnamien je répondais « oui oui,  français, français, merci merci » et elle, dans un éclat de rire édenté, me tendait mon petit dej’ enroulé dans du papier d’argent.

Ça duré quelques jours et  puis j’ai fini mes textes. Je me souviens que le dernier c’était sur le Long Bien Bridge à Hanoi avec une phrase qui disait :  « Les rivets vibrent, le métal gronde et le tout menace de s’écrouler, de tirer enfin sa révérence pour s’enfoncer dans le fleuve rouge, en entraînant les motos, les vélos, les poutrelles et le squelette tordu du vieux pont français, dévoré par la rouille. »
Comme j’avais terminé j’ai sauvegardé, j’ai mis les textes sur une clé USB et la clé USB dans ma poche. Sur mon ordi j’ai tiré les fichiers vers la corbeille, je l’ai vidée et je suis sorti.

J’avais un pote en ville ce soir-là, un « local » et on a bien traîné. La nuit a pris son temps, est passé tout doucement en cumulant les heures sup, en mordant sur le jour et en me jetant à l’aube sur un trottoir, titubant, trébuchant, avançant maladroitement vers la porte fermée de mon hôtel.

Il y a des moments comme ça, que l’on se repasse 100 fois dans la tête. Ces moments pour lequel on se dit « j’aurais dû », « il aurait fallu », « si seulement j’avais… »  et la solution est évidente, mais elle arrive toujours trop tard. Quand la fille est descendue de sa Honda Wave, je n’ai rien vu venir. Quand elle a collé ses mains sur moi, sa bouche dans mon cou et ses cheveux contre ma joue, love you long time je me suis poussé gentiment et puis un peu plus sèchement comme elle insistait Love you all night. J’étais content de la voir partir, sans réaliser qu’elle partait trop vite.

Le lendemain je me suis levé plus tard que d’habitude, je suis sorti sans avoir à réveiller le type de l’accueil et la dame du petit déjeuner n’était plus la même. En remontant Bui Vien avec mon Sandwich, j’ai glissé ma main dans ma poche et ma poche était vide. Là où j’aurais dû trouver ma clé USB, il n’y avait rien.
Je suis rentré, j’ai mangé mon sandwich, j’ai regardé un film et j’ai pris un avion. Il ne me reste qu’une phrase qui parle d’un pont rouillé et c’est tout. Il n’y a rien à faire, c’est simplement comme ça.

Le week-end dernier j’ai fini les textes de Ticket to :  New York. J’ai terminé lundi matin, sur les genoux, les yeux rouges et la mine grise, la peau en carton, à bout de souffle avec un air de Sinatra coincé derrière les oreilles et elle qui me disait « Mais Gaspard, c’est que des livres de voyage, t’as pas besoin de te mettre dans des états pareils ». Ouais, mais ici ça caille, ici je crève de froid et le drame : ça me chauffe.

 

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1 Comment

  • Reply
    gaspardNo Gravatar
    27 novembre 2012 at 13 h 16 min

    Pourquoi pas, si j’ai des choses à dire. Mais en attendant je dois me pencher sur mes textes du Vietnam…. une fois de plus.

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