Chroniques Thaïlande

Paint in Black – Souvenirs de Songkran

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Avant propos :
Il y a  quelques années ( et on sait qu’on devient vieux quand on peut commencer un texte de cette façon) j’étais un mauvais garçon. Ceux qui m’ont croisé ces derniers mois diront sans doute que ça n’a pas changé. C’est vrai qu’en ce moment, je travaille un peu a devenir l’enfant terrible du beau livre français. C’est dire que la place est libre et n’intéresse personne.
Bref, à l’époque c’était pire. Je prolongeais chacune de mes journées de plongée par des nuits interminables et mes heures filaient dans le surréalisme sympathique des fêtes tropicales, le sourire des filles et l’affreux goût sucré du redbull qui noie la vodka.

De cette époque restent quelques textes, des chroniques. J’y tiens plus qu’à mes souvenirs. Ce sont ces textes qui m’ont tenu à flots, m’ont fait garder le cap, ont entretenu mon envie d’écrire et d’en faire quelque chose.

Alors voilà, Songkran, le fantastique nouvel Thaïlandais, tombe dans une dizaine de jours et j’ai eu envie de ressortir une de ces chroniques d’il y a trois ans, issue de ce qui m’apparait maintenant comme une autre vie, les souvenirs distants d’un mec qui buvait des Chang, comme des shots,  cul sec, pour que ça tape à la tête sans passer par le foie. Un mec qui avait dans l’idée qu’il n’y a que l’alcool qui noie, que l’eau ça dilue mais n’efface pas.

« J’ai chargé mon fusil, réajusté mon short, rallumé ma cigarette et aligné le premier type devant moi, un tir droit, en pleine tête dans l’oeil gauche. Le mec a vacillé, ri et s’est écrasé sur une vague, un truc a explosé, l’île tout entière a hurlé à l’unisson. J’ai collé ma crosse contre mon épaule, mon oeil dans le viseur, c’était enfin la guerre.
La plage prise sous la lumière des fusées éclairantes, sous les accords distendus de crissements électroniques, c’est le DJ qui scratch avant de s’écrouler, tête sur le vinyle, touché en plein torse par un gamin de huit ans, t-shirt Harry Potter, fusil à double canon, double gâchette, chargeur de neuf litres, cris de victoire et les parents qui le disputent un peu « tire pas sur le monsieur, tu vois bien qu’il travaille ». Les parents je les descends, le môme je l’allume. Pas de prisonnier, pas d’orphelin. Le barman j’attends qu’il ait fini de mélanger Samsong, Diet Coke et Red Bull et de lui avoir tendu deux cents bahts pour lui envoyer une rafale dans l’estomac.

Au coeur de la foule ça attaque à la grenade, ça fragmente, ça bombarde, ça antipersonnel et aligne les dommages collatéraux. Vieux, jeune, souriant ou pas, tout le monde y  passe et les tirs s’intensifient et le volume de la musique augmente. Moi je me planque, j’ai fait un trou dans le sable.
Deux gros ventilateurs soufflent vers la foule, crachent vers la mer, le bruit des pales, l’écho saccadé des moteurs comme les rotors des Huey, je fixe le ciel, cherche l’ombre des premiers hélicos, les renforts, les premières rotations de sulfateuses, les premières notes de La Chevauchée des Valkyries.

À ma droite, un groupe d’Anglaises s’affale dans une série de mouvements mous, touché par une esquade de tireurs thaï embusquée. À ma gauche un type a calé son menton sur le canon de son fusil, doigts sur la gâchette il hurle vers l’horizon. Les corps s’empilent, les blessés se multiplient, les rescapés s’éparpillent, l’ennemi avance et le bar ne désemplit pas. La fête a bien pris.
Le réseau radio est saturé, la réception mauvaise, je hurle dans mon téléphone « Bravo tango 67 à base ! Envoyez renfort a l’ouest de la plage ! Embuscade jaune ! Je répète embuscade jaune ! Bravo tango 67 à base. Base ? Base ? ». Un cliquetis inaudible, une voix inconnue qui me dit « mais qu’est-ce que tu racontes Gaspard ? Putain, mais t’es bourré ! » Plus de signal, interférences, j’abandonne mon portable et me tourne vers les lignes ennemies. Le Dj a dû changer de disque, de style, et c’est la montée de batterie de Paint In Black que j’ai dans les oreilles quand je sors de mon trou, quand je fais le compte de mes munitions et que je me tourne vers le corps allongé à côté de moi. « les vrais héros, ça ne revient pas, les vraies médailles on les cloue au cercueil, on les dépose dans les mains des veuves. Il est l’heure de mourir mon frère ». Face à moi une masse noire, trois mille soldats, deux mille fusils, et l’ombre des palmiers, les premiers mètres de route, le point d’évacuation que je n’atteindrai pas. Aucune chance. Je tire sur ma Marlboro, crache un nuage de fumée bleue et commence à courir.

J’en descends dix, j’en abats trente, en désintègre cent avant de tomber à mon tour, avant de lâcher mon arme, de poser un genou à terre, de renoncer. Une balle dans l’épaule, dans le ventre, dans le cœur à bout portant. Les bras morts, les yeux vers les étoiles et sur mon visage trempé un cri silencieux qui s’étouffe dans le sable quand je tombe en avant. « Medic ! ».
On me transporte, on me rassure, on me sèche, j’ai les yeux ouverts, je suis sur mes pieds, mais le monde tourne et une voix me dit, « t’es chiant à te mettre dans des états pareils », l’infirmière est grotesque, elle ressemble à un pote à moi mais en moins net. Autour de son cou pend un pistolet à eau. Autour de nous, tout le monde a un pistolet à eau. J’éclate de rire, je me casse la gueule, sous une pancarte, sous une série de grandes lettres noires « Joyeux Songkran » et àl’infirmière qui me demande ce qu’il y a de drôle je réponds :  « Rien. Je marche dans la vallée des ombres de la mort. Je suis vivant. Et je n’ai pas peur. »


Songkran (thaï สงกรานต์) est le nom thaïlandais de la fête du nouvel anbouddhique. Propre au Bouddhisme theravāda et basée sur le calendrier lunaire.

Traditionnellement, les gens rentrent dans leur famille et font acte de respect envers leurs aînés en leur versant un peu d’eau parfumée sur les mains. Si cette tradition se perpétue dans les familles, ses manifestations publiques ont énormément évolué et, aujourd’hui, la fête est devenue prétexte à de gigantesques batailles d’eau dans les rues des villes.

Désormais les dates de célébrations de Songkran sont fixe, du 13 au 15 avril.


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2 Comments

  • Reply
    laurent @ Expatriation en ThailandeNo Gravatar
    26 février 2013 at 0 h 37 min

    A préciser que la fête dure une semaine à Chiang Mai! 😉

  • Reply
    Mike @Thailandee.comNo Gravatar
    4 décembre 2014 at 13 h 49 min

    Je me suis toujours imaginé ce que ça donnerait une telle fête en France. Ca finirait en bagarre c’est sûr ! 😉

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